La Littérature est une femme magnifique.
Et l’étudier, ce n’est pas l’aimer. Ce n’est pas lui faire l’amour.
C’est l’autopsier. Et rien d’autre.
Pourtant quand je dis que j’ai co-écrit avec Olivier un roman, les gens se disent :
« Ca doit être fatalement bien écrit ! Après tout, ce mec-là possède 2 maîtrises et un DEA de Lettres Modernes. »
Mon cul.
Quand j’étais devant ma feuille blanche pour co-écrire le DeathTrip, mes beaux diplômes, je pouvais me les rouler et m’en faire un suppo.
Ils ne m’étaient pas d’une grande utilité.
Pourquoi ? Parce que malgré toutes les techniques et les théories littéraires que vous pourrez connaître et maîtriser sur le bout des doigts, rien ne vous empêchera jamais d’écrire de la merde. Aussi persévérant soyez-vous.
Il vous faut le Feeling. Et il vous faut la pratique. De la lecture et de l’écriture.
Le reste, c’est juste…. de la « littérature ».
Pourquoi je vous dis tout ça ?
Parce que le Jeu de Rôles est identique !
C’est une très belle femme. Fascinante, mystérieuse… et qui se laisse difficilement dompter.
Les pages du Kama Sutra (les technique de maîtrise du JDR, donc) vous aideront à diversifier, pimenter vos ébats. Peut-être.
Mais à mieux connaître cette catin ? Et à la faire jouir? Pas si sûr…..
Parce que si vous n’avez pas le feeling, si vous ne ressentez pas le truc, aucun manuel technique du Sexe ne fera de vous un bon coup.
Vous connaissez la « Brouette du Phénix » ? Vous avez décortiqué le schéma de cette posture 28 fois avant de vous lancer.
Mais, malgré ce que vous avez raconté à vos potes et à votre partenaire, vous ne l’avez jamais réellement pratiquée, hein ?
Résultat ? Malgré votre science théorique de l’Art de la Baise, si vous n’avez pas le Feeling et/ou l’expérience, votre partenaire risque de passer de longues minutes à bailler en contemplant le plafond.
Allez, avec un peu de chance, elle simule trop bien [ Félicitations ! Vos joueurs vous aiment bien, compatissent, et font un effort pour raccrocher des wagons qui n’ont même plus de roues…]. Mouais…. Il faut parfois se contenter de peu, c’est ça ?…..
Alors ne tombez pas dans le piège de ce mal français récurrent – la technicité.
Regardez le Cinoche Français. Envahi par les techniciens (et les businessmen, mais là n’est pas le problème).
Acteurs comme réalisateurs, ils ont tous 4 ou 5 ans d’étude du Cinéma dans les pattes.
Résultats des courses ? Notre Cinoche est grosso-merdo… à chier.
Où sont les Gabin, les Ventura (ancien catcheur qui n’a jamais suivi le Cours Florent !!) ?
Où est le nouvel Audiard, qui n’avait qu’un certif’ de soudeur, et qui pourtant a écrit les meilleurs répliques de nos pelloches hexagonales ?
Ces mecs-là faisaient plus que de connaître leur affaire – ils la sentaient, la comprenaient intuitivement.
La technique, à mon humble avis, permet simplement 2 choses (fort honorables, et utiles, je l’avoue) :
1 - De mettre le pied à l’étrier de manière un tant soit peu sereine.
2 - De limiter la casse.
C’est-à-dire :
1 - Vous êtes novice au pieu ? Connaître 1 ou 2 trucs théoriques peut éventuellement vous rassurer (une sorte d’effet Placebo pour éviter la débandade due au trac de la « 1ère fois »)
2 – Connaître les ficelles du métier vous empêchera bien souvent de finir au fond du trou de la médiocrité – mais je pense que ces mêmes ficelles ne vous permettront jamais de vous hissez jusqu’au Séjour des Dieux.
Il te faudra un cordage bien + solide, jeune Padawan….
Le dernier épisode de la série Oz est sanctionné par cette sentence ô combien véridique :
« Ce qui compte, ce qu’il y a de + fascinant, c’est le facteur humain. Et rien d’autre. »
Jamais adage n’a été aussi vrai et important qu’avec le JDR.
Connais tes joueurs. Connais leurs persos. Connais-toi toi-même.
Mieux ! Ne connais pas tout ce beau monde – ressens le.
Le reste ( ton scénar) viendra naturellement.
C’est la raison pour laquelle je ne joue qu’avec des gens que j’estime bien connaître.
C’est la raison pour laquelle je n’écris (presque) jamais mes scénars. Ils tiennent sur un ticket de métro.
Bien que je me considère comme quelqu’un de « cérébral », je suis intimement persuadé qu’on ne peut (quasiment) rien prévoir. Malgré toutes les « Théories de l’Engagement » lues et relues 100 fois.
On ne peut que (pré-)sentir.
Le Chaos, le Hasard, la Surprise, c’est ce qui fait un des charmes de toute notre affaire.
Et de la Vie, et du Rêve, également…
N’est-ce pas ça, le Jeu de Rôles ? La croisée exacte entre ces deux routes ?
Alors si vous voulez tout prévoir, planifier, prendre des mesures et préparer des contre-mesures, je crois que vous n’êtes plus vraiment dans le Jeu de Rôles.
Vous n’êtes plus vraiment ni dans la Vie, ni dans le Rêve.
Alors à quoi bon ?
Laissez tomber les manuels techniques. Prenez votre planche et vos couilles, et partez surfez sur la Grande Vague du Chaos.
Pour le meilleur et pour le pire. Certes.
Et c’est pourquoi j’estime que mes parties ne sont que très rarement « tièdes ».
Soit la Sainte Trinité Rôlistique Feeling/Magie/Osmose avec les joueurs est là, et le résultat est excellent – « Kabbale à CabbotCove », la 1ère mouture de Ryoko, La 1ère campagne CyberAge…
Soit…. Je tombe de ma planche (pas de technique pour me cramponner !) et la partie sera médiocre. (Je laisserai mes joueurs remplir ici la liste de ces parties – souvent avortées par mes soins d’ailleurs).
Mais décortiquons donc un peu tout ça – mais juste un peu, sinon, je vais devenir… technique.
- « Kabbale… » : une partie pour Kult en impro TOTALE.
Le scénar ? AUCUN.
La consigne à moi-même : essaye avec tes p’tits bras de faire du Lynch tendance Lost Highway.
Le Perso : un tox’ Chaote et numéromane au fond du trou ( genre Leaving Las Vegas, l’héroïne et le speed remplaçant la bibine)
Résultat des courses ? Une partie qui restera gravée dans mon crâne de piaf jusqu’à la Fin.
12h non stop de jeu sombre, décalé, expérimental, avec un seul joueur en face de moi.
A la base, aucun scénar. En cours de route, aucune technique.
Juste un perso juteux, un joueur que je connaissais sur le bout des doigts (Ludo) et une ambiance.
Et puis un truc dans l’air… Certains appèleront ça de la magie.
- « La Guerre de l’Opium » à Ryoko. Un bouquin fort bien écrit…. que j’avais survolé 2 ans auparavant et pas eu le temps de relire avant de maîtriser !
Son (mon ?) point fort : pas tant le scénar proposé, qu’une galerie de persos fascinants et atypiques…. décrits en seulement quelques lignes à chaque fois ! Un pur chef d’œuvre. Le fameux « facteur humain » si cher à Oz….
Et toujours pas un pet de réflexion sur « le comment du pourquoi de il faudrait que je mette telle technique à tel endroit. ».
Simplement un thème (une ville splendide et corrompue), des caractères (les potes, leurs persos et les PNJs) et une saveur, un rythme, une musicalité (comme lorsque je tente de jouer les écrivaillons avec mon ami Oliv…).
Mais, même si j’en connais un certain nombre, toujours pas un pet de technique.
Dams et Oliv, vous qui lisez ces lignes, j’aimerais que vous aussi vous décortiquiez les scénars/campagnes qui vous ont rendus « célèbres » et adulés par les jeunes filles lascives en rut…
Histoire de voir si la technique a réellement quelque chose à voir avec une partie « ultime »….
D’ailleurs, prenons donc cet autre exemple que je trouve ma foi fort probant : mon ami Olivier. - C’est promis Dams, la prochaine fois, c’est toi que je déchire en 2
Olivier Castan donc. Un des meilleurs MJs disponibles à ce jour sur le marché du JDR.
J’ai la chance de connaître ce psychopathe depuis… 1995. (si, si…).
Dis-moi, Oliv, es-tu sûr qu’en 13 années, la qualité de tes parties s’est améliorée grâce à ton amour et ton étude acharnée de la Technique ?
Tes parties ont-elles réellement changé en bien depuis « Le Maître des Illusions » (1999) ? Depuis les « Masques… » (débutés la même année)?
Eh bien, je pense te dire objectivement : NON.
Elles sont toujours aussi excellentes. Mais ni plus, ni moins.
Et elles ne sont même pas différentes.
Tu as appris au cours des ans à mieux connaître cette femme qui te faisait tant bander. Mais est-ce que c’est ça qui fait que tu la baises si bien ?
Je ne pense pas.
Ta technicité t’a permis un tant soit peu de sauver des parties qui, si c’était moi qui les avais maîtrisées, auraient été tout simplement… médiocres. Le fameux point n. 2 de ma précédente argumentation.
C’est déjà très bien, c’est effectivement un argument en faveur de l’apprentissage des techniques… Mais n’est-il pas un temps où il faut laisser tomber cette même phase d’apprentissage/mimesis/intellectualisation ?
Car ne constitue-t-elle pas, passé un certain degré d’expérience, un frein ?
De Vinci a commencé par penser son Art et copier les Grands Maîtres des époques précédentes. Et puis un jour il s’est éloigné de tout ça, et… il est devenu De Vinci ? Do you copy me ?
Oliv, l’excellence dont tu peux faire preuve durant tes grandes heures n’a rien à voir avec la technique. Il s’agit d’un feeling que tu possèdes, et de paramètres que ni toi, ni tes joueurs ne peuvent contrôler ou invoquer volontairement.
C’est ce qui fait que le JDR est un Art. (Coup de tonnerre en fond sonore, SVP).
On ne peut même pas analyser cela, même pas mettre des mots dessus. Ce serait tuer la Magie. Pire. Ce serait prouver que ça n’en est pas.
Certains sont faits pour le JDR, d’autres pas.
Ces derniers doivent profiter des techniques pour devenir des PJs/MJs…. Moyens. C’est déjà pas mal, certes.
Les autres ? Vous ne faites pas du JDR. Vous êtes le JDR ! – laissez donc tomber vos partoches et vos gammes et envolez-vous !!!
Comme Jimi Hendricks, improvise et lâche-toi, petit Voodoo Child !!
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La technique – si tant est que vous la maîtrisiez – fera de vous un très bon Artisan.
Le Feeling – si tant est que vous en ayez - fera de vous un Artiste.
Demandez à un Shaman de rationaliser son Art… et vous obtiendrez l’Eglise Catholique.
Ca branche quelqu’un dans la salle ?
Mais au final, malgré certains aspect virulents de mon laïus, je tiens à préciser que ce n’est pas la technique en elle-même que je tiens en horreur (ce serait stupide).
Mais l’obsession et la sanctification qu’on peut en faire.
Alors ne cherchez pas à autopsier sans cesse et inutilement l’Art. Arrêtez de le charcuter à coup de scalpel et faites lui un gros smack sur la fesse gauche.
Don’t Kill Your Idols. Have Sex wit’Em.
Aurel, Wombat Polémique. (et sans doute trop long et bordélique. Mais j’ai écrit ça… au Feeling.)
PS : J’ai ici volontairement poussé mon point de vue à l’extrême. Avec des coupes et des raccourcis parfois violents ou faciles. Mais sans ça, la polémique est tout de suite moins intéressante, vous ne pensez pas ? Et puis, je suis réellement un nostalgique de Pollack et de son « Droit de Réponse », que voulez-vous….
PPS : et je continue de lire en cachette les excellentes thèses littéraires de Todorov et le très intéressant Edwards qu’Oliv nous a fait découvrir récemment
Aurel, Wombat Schizo Antithétique.
PPPS : Vous savez quoi ? En écrivant ces pages, je viens de donner corps à la chose que je voulais tuer – l’analyse technique.
Une vraie tragédie grecque.
Aurel, Wombat qui part se pendre.